Mlle Peggy,Infirmière

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94, France
Mes patients m'appellent souvent Mlle Peggy ,c'est une façon pour eux d'établir une proximité sans pour autant être trop familiers,une sorte de formule "intermédiaire" entre le tutoiement et le vouvoiement,qui leur convient et que je trouve charmante.Vous l'aurez donc compris ,mon quotidien est de soigner les corps et les âmes,"les petites histoires de Mlle Peggy" sont des brèves de vies,qui vous feront rire,parfois pleurer,souvent réfléchir,enfin qui vous laisseront rarement indifférents,je pense. Ah j'ai oublié de vous dire mais vous avez du le deviner:je suis infirmière,et je pratique mon art à domicile,en petite banlieue parisienne.Je tiens à préciser que par souçi du respect du secret médical auquel je suis soumise,les lieux,les identités des patients et leurs familles,les pathologies sont modifiés,et les faits sont romancés. Toute ressemblance avec des personnes ayant réellement existé est purement fortuite. Bonne lecture!!!

mardi 22 juillet 2014

Le Canada.


Février 2000
Ce matin, Angèle est morte.
Quarante ans, un mari, trois enfants six, dix et douze ans.
Aout 1999
Première rencontre fin Aout, retour de vacances écourtées par une fracture du fémur à priori accidentelle.
Partie avec des amies passer quelques jours entre filles sans enfants ni mari, Angèle se réceptionne mal lors d'un saut en parachute et se fracture le col du fémur.  Son séjour se prolonge aux urgences de l'hôpital de villégiature, car les radiologues veulent investiguer davantage.
Après les radios, les scanners, et enfin l’IRM,  le diagnostic tombe comme un couperet: Angèle a un cancer du poumon avancé puisque les organes majeurs sont envahis par les métastases: cerveau, foie, reins, moelle..................une catastrophe!!!
Je prends en charge une bonne vivante qui ne refuse jamais un bon verre de vin rouge mais qui a arrêté de fumer il y a plus de dix ans avant d’avoir ses enfants.
Elle est mariée à un homme d’affaires, souvent absent mais très amoureux de sa femme et à l’écoute de ses enfants.
Leur grande maison devient  chaque weekend le lieu où se retrouvent famille et amis.
Septembre 1999
Cette année, le printemps se prolonge et la rentrée se fait sous un soleil radieux.
Malgré le sinistre tableau, le moral semble bon et l’humeur est joyeuse. Cette femme est une guerrière, elle ne s'accorde pas la possibilité d’échouer, ses enfants sont jeunes et ont besoin d'elles, elle doit survivre.
Clouée au lit depuis maintenant un mois, elle continue à travailler par le biais du téléphone et d’internet, reçoit ses rendez-vous dans sa chambre, et gère les devoirs des enfants d’une main de maitre.

La chimiothérapie a commencé, les kilos superflus fondent à vue d’œil, tout le monde fait semblant de ne pas le voir, y compris moi.
Dès le premier jour, elle me dira « je suis ravie de mener ce bout de chemin avec toi », je suis également sous le charme de ce personnage……
Octobre 1999
Moins dix  kilos sur la balance, Angèle dit « avoir quasiment atteint ses objectifs de perte de poids », ses amies lui affirment qu’elle a retrouvé la taille de ses vingt ans……
Il y a deux jours, sa meilleure amie a rasé ses quelques cheveux éparses, laissant apparaitre un crane imberbe, qui lui va plutôt bien.
Cette étape a été difficile mais reste le choix de la perruque prévu aujourd’hui, instant toujours grave car le patient réalise que l’image qu’il renvoie est  celle de la maladie.
Un rendez-vous avec un spécialiste de la perruque est donc pris cet après-midi.
Angèle tient absolument à ma présence,  je vais tenter de dédramatiser ce moment par le biais de « moqueries de filles », de celles que l'on peut faire lors de ces journées shopping ou l'on essaye des heures durant des tenues improbables « juste pour voir si ça va!!! ».
Sa meilleure amie, fidèle de chaque instant, est présente et va  jouer le même jeu que moi.
Et ça marche ! Les fous rires sont de la partie et nous finissons par trouver La Perruque!!!
Pourtant je la préfère sans, le postiche ne convient pas à sa personnalité, comme souvent chez les patients à ce stade de la maladie.
Elle ne la mettra jamais, elle va faire face sans fards, sans détours, sans mensonges.
Novembre 1999
Clash entre Angèle et sa fille ainée.
Le voyage prévu depuis des mois au Canada a été annulé étant donné l’état de santé d’Angèle.
L’adolescente rêvait de ce voyage depuis longtemps et a du mal à comprendre que ses parents reportent …….à plus tard, elle trouve cela « injuste ».
Angèle est déchirée.
Décembre 1999
Les préparatifs de Noel se précisent, le mari d’Angèle voyage moins, essaye d’être plus présent conscient de la gravité de la situation.
La famille fait ce qu’elle peut pour que les enfants mènent une vie « normale » avec leur mère en phase de soins palliatifs dans leur maison.
Parce que nous y sommes, quatre mois après la découverte de la maladie, le palliatif a pris la place du curatif.
Le temps de l’espérance est définitivement derrière nous, en ces heures de fêtes, l’ambiance est à la gravité, malgré une volonté manifeste de ne pas sombrer dans le pathos.
Pourtant moins 30 kilos sur la balance, le contact est de plus en plus bref, la morphine entraine une somnolence quasi permanente, et la maladie est particulièrement virulente.
Angèle ne marche  plus, ne s’alimente plus seule, et, elle est incontinente depuis peu.
Les enfants décorent le sapin en espérant à haute voix que « maman participe un peu plus l’année prochaine !!!! ».
Janvier 2000
Angèle m’a accordé sa confiance tout entière, avoué ses espoirs, ses angoisses et ses peurs, ses échecs, ses joies et ses peines tout ce temps durant.
Le soin nous a rapprochées, le toucher nous a liées, la douleur nous a unies, elle et moi mais aussi sa famille et moi.
J'ai espéré ardemment que l'issue soit différente, j’ai dû accepter avant l'échéance, le terrible sort  qui l'attendait, elle et sa famille.
Accepter l'injustice des ravages de la maladie permet d'ajuster la prise en charge du patient à la réalité souvent cruelle.
L'objectif du soin n'étant plus curatif mais palliatif, nous passons ensemble les étapes qui conduisent au décès inéluctable.
Le chemin est difficile car il n'existe pas de place pour la médiocrité, chaque moment est unique et précieux tant pour le patient que pour sa famille et, évidemment pour le soignant.
J'ai aimé cette femme au caractère bien trempée qui n'a jamais failli, ses promesses étaient celles d'une amitié débutante qui perdurerait après la guérison, que nous voulions tous certaine......
Je savais, je connaissais l'issue, et pourtant j'y ai cru, au début mais la réalité m’a vite rattrapé.
Nous avons franchi la limite de la relation soignant-soigné, sans le vouloir car nous ne nous sommes pas protégées l’une et l’autre, mais nous nous sommes enrichies l’une de l’ autre .
Quand enfin, elle a voulu connaitre la vérité, je me suis assise et je ne lui ai rien caché, je le lui devais, je ne pouvais pas trahir la confiance qu'elle m'accordait depuis le début.
Je lui ai dit les mots que j'aurais aimé entendre, à sa place, la projection était tellement forte!
Elle a pleuré un temps infini, dans mes bras, elle m’a avoué ses regrets non pas ceux du passé mais ceux du futur : elle ne verrait pas son fils devenir un jeune homme, sa fille au caractère si semblable au sien s’épanouir, sa toute petite tout simplement grandir et son mari continuerait le chemin, sans elle.
Je n'oublierais jamais ce soir de décembre ou, après cette conversation, j'ai fermé la porte de sa chambre, salué sa famille rassurée de la voir aller un peu mieux, chahuté avec les enfants puis j'ai fermé la porte de cette maison ou un drame se jouait à quelques jours de Noël, et j'ai pleuré, longtemps.
Février 2000
On est au bout du chemin.
Angèle me remercie une dernière fois pour ma présence et mon écoute, ses mots et son regard resteront gravés dans ma mémoire pour l'éternité.
Le SAMU ferme la porte du camion et l’emmène rapidement.
Sa famille est exceptionnelle et pourtant ordinaire: présente, patiente, un soutien de chaque instant, chaque minute.


Les grands parents irréprochables croulent sous le poids des responsabilités qu'ils n'auraient jamais imaginé: prendre en charge pendant les absences de leur père ces enfants si jeunes, ils vont devoir essayer d’assurer «  l’intérim maternel ».Comment répondre à leurs angoisses, comment les soulager, comment expliquer l’inexplicable ? La grand-mère me dira quelques jours avant le décès de sa belle-fille :
« elle ne peut pas mourir......les enfants.......................nous sommes trop vieux …....................... ».
Et qu’allait devenir leur fils, si brillant, parfaitement heureux jusqu’à cet été inoubliable, et depuis si malheureux, en silence, inconsolable en silence, résigné, mais toujours souriant.
Mari, enfants, famille, amis doivent continuer et comme dira son petit garçon le jour de son décès «sans ma Maman, la vie ne sera plus jamais comme avant...... »
Le choc est rude, je suis plus que touchée, je suis effondrée.
Un chagrin très particulier.
Une amie, une mère, une épouse, une collègue, une voisine, une connaissance a définitivement disparu.
La matinée sera difficile.
Pour  tout le monde.
Février 2002
Deux ans déjà qu'Angèle nous a quitté, je pense toujours à elle régulièrement, je ne suis jamais allée sur sa tombe.
En revanche, elle a tenu parole: elle veille sur moi..........
Je prends toujours soin de mes patients.
Ses enfants grandissent et s’épanouissent, son mari tente de continuer sa vie.
Ils sont partis, au Canada, tous les trois, en Janvier dernier.

vendredi 18 juillet 2014

Bienvenue chez les fous: la suite...

Plusieurs semaines se sont écoulées depuis le début de cette prise en charge insolite.

Je me suis progressivement habituée à l’ambiance qui règne dans cette maison, mais je reste 
cependant prudente.

Les enfants de Mme Amsterdam m’ont recontacté quelques jours après mon premier passage et ont évoqué à bas mots la schizophrénie d’Ernestine.

Ils minimisent les troubles malgré les hospitalisations d’office* à répétition consécutives à des agressions verbales ou physiques de personnes sur la voie publique.

Un fait grave est survenu quand elle était âgée de vingt ans.

Ernestine a poignardé un voyageur dans le métro.

Lors du procès, les expertises psychiatriques ont montré  une irresponsabilité pénale, elle a donc été hospitalisée plusieurs années dans une unité pour malades difficiles, et elle vit maintenant depuis une quinzaine d’années chez sa mère, avec une surveillance médicale renforcée. Elle doit se présenter régulièrement aux rendez-vous médicaux qui lui sont fixés au centre médico-psychologique dont elle dépend.

Aujourd’hui, Ernestine est stabilisée mais « réputée dangereuse ».

Le couple qu’elle forme avec sa mère est pathologique car l’une ne peut vivre sans l’autre mais chacune participe à la destruction de l’autre.

Mes visites ont lieu invariablement à la même heure.

Ernestine s’assoit dans son fauteuil face à la porte d’entrée du salon avec sa bouteille de « Coca rouge » coincée sous son bras droit, son cendrier posé sur un guéridon placé à gauche une cigarette à la main.

C’est une grande tabagique puisqu'elle fume trois à quatre paquets de cigarettes par jour, sans jamais aérer la pièce où elle se trouve car « sa mère n’aime pas les courants d’air ».

Mon premier geste quand j’arrive est donc d’ouvrir la fenêtre pour ne pas mourir asphyxiée….

Chaque jour, à la même heure.

Et pour cause….Ernestine a passé la plus grande partie de sa vie hospitalisée dans des services psychiatriques dit « fermés ».
Au sein de ces lieux de soins, la vie des malades est encore plus ritualisée que dans un service de soins généraux.

Ils se lèvent, prennent leurs repas et leurs traitements à heures fixes, rencontrent les médecins, la famille dans un cadre prédéfini à l’avance, et il est difficile de déroger aux règles fixées.

Elle est donc formatée et le moindre changement dans ses habitudes peut provoquer chez elle de grandes colères.

Aujourd’hui tout ne va pas se passer comme d’habitude.

En effet ma journée débute par une dizaine de prises de sang à domicile et certains patients s’avèrent difficiles à prélever. Je prends donc progressivement du retard. Un certain nombre de rendez-vous s’enchainent au  cabinet, et deux de mes  patients ne se présentent pas à l’heure convenue mais un bon quart d’heure plus tard chacun.

Il est donc 13 heures passé lorsque je me présente chez Mme Amsterdam, soit 60 minutes plus tard que mon heure d’arrivée habituelle...

Machinalement, je pousse la grille du jardin et je traverse les herbes folles au pas de course.

Je frappe à la porte deux fois et comme il est convenu entre elles et moi je rentre dans la maison.

Tout est calme.

Je préviens de mon arrivée en disant « bonjour » d’une voix forte.

J’ouvre la porte du salon, Ernestine me fait face dans son fauteuil.
 Elle me dévisage d’un œil noir. 
Sa mère est assise dans le canapé situé à la droite de celui de sa fille, et regarde d’anciennes photos qu’elle commente à haute voix comme si nous n’existions pas.

-Bonjour, comment allez-vous ?

Ernestine me répond de sa voix trainante, neuroleptisée

-Bonjour. C’est plutôt moi qui doit prendre de vos nouvelles !

Je m’accroupis face à elle pour prendre appui sur la table basse et je commence à retirer les médicaments un à un de leurs blisters.

 Sa mère continue à commenter les photos :

-c’était à Knoke, maman ne voulait pas se baigner…

Je commence :

-oui il y a eu beaucoup d’imprévus ce matin et…. 

Brutalement, Ernestine se lève et s’avance vers moi rapidement, en hurlant :

-Arrêtez de mentir !!! Je ne suis pas folle !!! .

Surprise par sa réaction, je suis déséquilibrée et je tombe sur le côté droit.

Hirsute, elle lève la main vers moi, et me relève d’une poignée franche…

Imperturbable sa mère réfléchit à haute voix :

-Knoke non ce n’était pas Knoke…. 

Je ne comprends pas ce qui se passe car tout s’est passé très vite.

Ernestine lâche ma main et se dirige vers l’entrée en vociférant :

-vous voulez profiter d’une handicapée, c’est ça Maria, ras-le-bol de vos mensonges !!!

Je me retourne et j’aperçois une silhouette dans l’entrée, très certainement la fameuse Maria.

Je tente une diversion :

-Dites-moi Ernestine, vous oubliez vos cigarettes ! 

Elle s’arrête brutalement, se retourne lentement, et me fixe.

-vous êtes complice ?

- complice ?

-vous comprenez parfaitement.

Elle se redirige vers moi.

Le téléphone sonne.

Elle s’arrête, et se dirige vers l’appareil :

-Bonjour Claudine, je vais devoir raccrocher l’infirmière est là.

Long silence

-je te la passe.

-Bonjour Peggy, je suis désolée j’ai omis de vous dire que ma sœur avait rendez-vous pour son injection retard lundi chez son psychiatre, elle n’y est pas allée donc se trouve en rupture de traitement depuis 10 jours. Il est possible qu’elle soit quelque peu agressive donc essayez de la convaincre de se rendre au centre medico-psychologique, je vous rappelle demain.

Elle raccroche.

Je me retourne et je la regarde longuement .

-je crois que vous n’allez pas bien Ernestine…

Silence

-je savais que vous étiez complice.

Elle s’assoit et allume une cigarette.

-je vais appeler les pompiers Ernestine, et tout se passera bien.

Je compose le 18 une fois de plus cette semaine, en espérant que leur intervention se déroule le mieux possible.

(*L'hospitalisation d'office s'applique aux personnes dont les troubles mentaux compromettent l'ordre public ou la sûreté des personnes. Elle appartient au Préfet ou en cas de péril imminent au Maire de la Commune concernée.)