Mlle Peggy,Infirmière

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94, France
Mes patients m'appellent souvent Mlle Peggy ,c'est une façon pour eux d'établir une proximité sans pour autant être trop familiers,une sorte de formule "intermédiaire" entre le tutoiement et le vouvoiement,qui leur convient et que je trouve charmante.Vous l'aurez donc compris ,mon quotidien est de soigner les corps et les âmes,"les petites histoires de Mlle Peggy" sont des brèves de vies,qui vous feront rire,parfois pleurer,souvent réfléchir,enfin qui vous laisseront rarement indifférents,je pense. Ah j'ai oublié de vous dire mais vous avez du le deviner:je suis infirmière,et je pratique mon art à domicile,en petite banlieue parisienne.Je tiens à préciser que par souçi du respect du secret médical auquel je suis soumise,les lieux,les identités des patients et leurs familles,les pathologies sont modifiés,et les faits sont romancés. Toute ressemblance avec des personnes ayant réellement existé est purement fortuite. Bonne lecture!!!

samedi 17 mai 2014

Histoire courte:les bonbons

Au cabinet médical, j'ai toujours un bol rempli de chocolats ou de bonbons (selon mes envies et les cadeaux de patients!!!) à disposition de ceux qui les aiment, posé sur mon bureau.

En cas de malaise hypoglycémique, c'est pratique on a du sucre sous la main et en cas de désirs violent de gourmandises aussi.

Ce matin un patient relativement près de ses sous me dit :

"C'est bien gentil ces petits chocolats que vous achetez pour nous"

Je lui réponds que ce sont souvent les patients qui me les offrent.

Lui, incrédule:

"Ah bon ? Et pourquoi font ils ça???"

"Et bien peut-être par reconnaissance ou simplement par gentillesse?"

Il me répond un tantinet agacé:

"Ben je préfère vous le dire tout de suite, ça n'est mon genre!!!"

vendredi 16 mai 2014

Ma petite histoire.

On me demande souvent quelles ont été les raisons qui m’ont poussé à choisir le métier d’infirmière.

Longtemps je n’ai pas su répondre, je savais juste que ce n’était pas une  « vocation » au sens strict du terme, dans la mesure où je considère que nous exerçons un métier qui exige un savoir-faire et un savoir être très spécifiques, une rigueur professionnelle sans failles qui relèvent d’une « profession » et non seulement d’une mission ou d’un appel.

Il n’est pas rare que les patients nous disent : « il faut vraiment avoir une vocation pour faire ce que vous faites ! »

J’ai souvent envie de répondre qu’il vaut mieux être solidement formé, motivé, rigoureux, sérieux, empathique, réactif, autonome, précis, entouré, soutenu, curieux, courageux, cette liste n’étant évidemment pas exhaustive, mais je n’ose pas car ils ne comprendraient pas, exercer un ministère est pour le commun de mortel une mission valorisante….

Les années sont passées, et je pense maintenant connaitre les origines de mon choix.

En réalité, mon père était un soignant d’une qualité exceptionnelle, reconnu par ses pairs et par l’Institution.

Son enterrement fut très émouvant, car les témoignages d’affection et de respect venant de la part de professionnels de santé mais aussi des patients et de leurs familles furent nombreux.

Ce jour-là, des véhicules du SAMU se sont déplacés, chefs de service, infirmiers, aides-soignants, cadres en blouses blanches lui ont rendu hommage en formant une haie d’honneur et en portant le cercueil ensemble une dernière fois.

Sa carrière hospitalière fut brillante, il aura été au service de l’humain, chaque jour, durant 40 ans, convaincu de son utilité malgré un exercice difficile et violent.

L’urgence, le SAMU, « la réa chir », « la réa polyvalente », « la neuro chir », seront ses champs de bataille, il y sera confronté au meilleur comme au pire, à l’indicible…

Il parlait peu, ne racontait pas les difficultés et pourtant, alors que j’étais tout jeune enfant, je devinais sa peine certains soirs, lorsqu’il rentrait de longues gardes interminables, de 72 heures parfois.
Son visage était marqué d’une fatigue intense, les yeux rougis par les larmes très certainement versées.

Je ne savais pas, je soupçonnais la souffrance mais je ne la connaissais pas.

Il partait souvent, brutalement, après un coup de fil et il restait longtemps à l’hôpital.

« Je suis de garde » ,« Papa est de Garde » ,cette « garde » était pour moi synonyme d’absence mais je ne savais pas ce qu’il y faisait, si bien que j’ai très tôt décidé de dire à l’école, à qui voulait bien l’entendre que mon père était explorateur, ce qui expliquait ses mystérieuses et si longues absences.

Avec le recul, je n’avais pas tort, c’était un explorateur !!!!

Quand j’ai enfin compris comment il occupait ses jours et ses nuits,  mon père est devenu mon héros, il  est le premier soignant que j’ai admiré.

Ses méthodes d’éducation étaient basées sur la communication et la transmission.

Les débats sur les Grandes Questions étaient légions à la maison, souvent enflammés, tout y passait le racisme, l’intolérance, l’acharnement thérapeutique, le terrorisme, l’indifférence, les conflits politiques, le sexisme et j’en passe…

Et puis un jour, il nous a réuni et nous a fait regarder un feuilleton des années 70 qui relatait l’histoire d’un esclave noir qui lutte pour obtenir sa liberté,  « Racine », le choc est violent.

Plus tard, il n’hésitera pas à nous montrer « Holocauste », une série qui relate l’histoire d’une famille juive durant la seconde guerre mondiale.

La méthode était radicale.

Elle a été efficace.

Il nous a enseigné que l’Humanité était sans doute le meilleur choix que nous puissions faire.

Ses trois enfants sont devenus soignants.

Octobre 1999, mon père choisit de mourir épuisé par la maladie.

Septembre 2001

Je travaille dans un service de maladies infectieuses, 100% de malades du SIDA, en phase terminale, 100% de décès.

Une équipe difficile, un vécu professionnel tout aussi pénible…

Je rentre à la maison et j’allume machinalement la télévision.

Le son est coupé.

Je m’assois en soupirant, je regarde l’écran silencieux, à cet instant précis, les images qui suivront vont marquer ma vie et celles de millions de personnes, à tout jamais.

Le premier avion percute la première tour, je m’assois lentement, je n’ose pas réaliser, et pourtant…. 

Le second appareil entre dans le champ de l’image, je prends la télécommande et je monte progressivement le son du téléviseur, deuxième choc, je ne peux m’empêcher de porter ma main sur ma bouche et j’étouffe un cri…

Nous sommes le 11 septembre 2001.

Ce jour-là, des centaines de familles d’innocents vont être déchirées, des sauveteurs en tous genres  vont mourir en secourant des milliers victimes.

Mes larmes coulent, une tristesse immense m’étreint, je ne connais pourtant pas ces gens qui courent affolés, terrorisés, brisés, mon père avait raison il y a l’humain et la barbarie à visage humain.

Depuis, j’ai compris son message.

La maladie est une espèce de terroriste fanatique.

Elle frappe n’importe qui, à tous les âges, tous les milieux, l’objectif est de ratisser large…

Elle utilise souvent une artillerie lourde en vue d’une destruction massive, tue en quelques semaines, quelques mois, détruit des familles, abrégé des histoires…

Exactement comme face au terrorisme, Chacun d’entre Nous est une cible potentielle.

Cette date a marqué chacun d’entre nous, tout le monde se souvient de ce qu’il faisait au moment de cette catastrophe.

Le « 11 septembre »,en regardant l'impensable encore une fois, j’ai su que je soignerais toujours, envers et contre tout.

A ce titre, je suis devenue un petit soldat du "prendre soin", j’utilise les moyens qui me sont donnés pour aider les victimes, au-delà de la maîtrise des gestes et de la technicité, l’empathie et l’humanité sont mes meilleurs armes.

A mon père, un héros parmi tant d'autres.







mardi 13 mai 2014

Bienvenue chez les fous!!!!




Février 2010

Cela fait déjà trois mois que j’ai accepté de prendre en charge un couple peu ordinaire puisqu'il s’agit de la mère et de la fille.

Evidemment, lorsque la famille m’a contacté à la fin de l’année dernière, elle a volontairement omis de préciser quelques détails concernant ces deux patientes.

Je vais donc vous expliquer la situation.

Un matin la fille aînée de Me Amsterdam me téléphone et me demande s’il est possible que je prenne en charge sa mère et sa sœur vivant ensemble pour gérer la bonne observance de leurs traitements respectifs, et réaliser des pansements.

Cette dame est plutôt volubile et me présente sa famille.

Me Amsterdam est Hollandaise et vit en France depuis 1950.Elle a épousé un Français en 1955  et  le couple a eu trois enfants. Elle est âgée de 85 ans et vit dans un petit appartement avec sa plus jeune fille, Ernestine.

La famille a vécu confortablement au gré des mutations de Mr Amsterdam, un diplomate très occupé par ses fonctions professionnelles.
Les enfants ont grandi, les deux ainés ont quitté la maison familiale depuis bien longtemps, Ernestine est restée près de ses parents car elle ne « pouvait » pas s’éloigner d’eux.
Je n’en saurais pas plus pour le moment, je fixe donc un premier rendez-vous quelques jours plus tard.

La fille aînée me précise qu’elle vit en province et qu’elle ne sera pas là pour me rencontrer en revanche, elle m’assure qu’elle prévient sa mère et sa sœur qui seront là sans faute, « c’est promis ! »

J’arrive donc comme convenu le samedi matin devant une maison bourgeoise de la fin du 19ème siècle qui semble abandonnée. Les herbes sauvages ont envahis le jardin, les murs sont fissurés par endroits, les volets sont dépareillés, la grille du jardin est difficile à ouvrir et émet un grincement strident qui ferait fuir n’importe quelle personne mal intentionnée !!!
Une petite cloche est fixée sur le mur de l’entrée au-dessus de la boite aux lettres qui déborde de courriers….

Je rentre dans le jardin et un pressentiment particulier me pousse à ralentir le pas.

Me voilà devant la porte, je frappe timidement.

Pas de réponse.

Je tape un peu plus fort et là j’entends une voix de femme hurler :

« Tirez-vous j’vous dis, les flics sont là, tirez-vous !!! »

Je me fige sur place et je déglutis avec difficulté.

Je décide  de rentrer, advienne que pourra….

Je pousse la porte entrouverte et là je découvre un intérieur sombre et poussiéreux, je suis surtout saisie par une forte odeur de renfermé.
J’avance doucement, et j’aperçois une double porte devant moi qui dessert certainement un salon.

Je frappe.

« Qui est là ? »

La voix n’est pas la même que tout à l’heure, c’est une voix de dame âgée.

« C’est l’infirmière ! »

« L’infirmière ?veuillez entrer madame »

Je tourne la poignée de la porte et j’entre dans une grande pièce beaucoup trop meublée et très enfumée.

Je me mets à tousser, l’atmosphère est irrespirable, mes yeux se mettent à larmoyer, je commence à sentir une irritation au niveau de ma gorge ….
Je décide d’ouvrir une fenêtre donc j’avance vers le cote droit de la pièce, et je déverrouille une baie vitrée, je respire l’air frais qui s’engouffre dans la pièce avec soulagement.

Je me retourne et là, j’aperçois devant moi deux femmes assises dans des fauteuils type Napoléon qui me scrutent du regard.

Elles semblent grandes et fortes, les yeux très clairs, la plus jeune ressemble à s’y méprendre à Simone Signoret.

Elle me fixe sans ciller.

Je m’éclaircis la voix et je me présente :

« Bonjour, je m’appelle Peggy, je suis l’infirmière et nous avons rendez-vous ce matin pour faire connaissance ! »

Silence.

Même en étant à côté de la fenêtre ouverte, la fumée de cigarettes est vraiment insupportable, j’essaye d’inspirer discrètement un peu d’air frais.
Des dizaines de paquets de cigarettes vides jonchent le sol, Ernestine  ne semble pas les voir, deux grands bols remplis de mégots froids se trouvent sur une table basse devant elle.
Ses doigts sont jaunis par la nicotine, elle tient une cigarette qui se consume lentement dans sa main droite, la cendre ne va pas tarder à tomber sur elle.
Ses cheveux gris sont très longs et retombent en bataille sur ses épaules.
Elle porte une vieille chemise de nuit sale et déchirée.

Ernestine me regarde toujours fixement.

« Maria va aller en taule ! »

« Maria ? »

« Ouais, Maria. Vous travaillez avec elle ? »

« Non. Qui est Maria ? »

« C’est celle qui vient le matin, elle a piqué les clefs de la baraque, j’ai porté plainte. »

« Ah, vous êtes allé au commissariat ? »

 « Non je les ai appelé »

« Mais on ne peut pas porter plainte par téléphone… »

Ernestine éclate de rire en secouant la tête de gauche à droite.

Sa mère sourit. Qu’est-ce que c’est que cette maison de dingues… ?

« Ils sont là. »

« Là ? Ou donc ? »

« Mais là devant vous, vous les voyez bien bordel ! »

A ce moment précis elle me désigne deux chaises posées devant elle…..vides !

Et bien voila, bienvenue chez les fous!!!!










jeudi 8 mai 2014

Tout vient à point à qui sait attendre (Mr Asticot suite et fin)

Un an déjà que je soigne Mr Asticot.

Il y a des hauts et des bas mais dans l’ensemble je suis immergée dans la misère sociale mais aussi la détresse morale que vit cet homme quotidiennement.

Le temps passe et sa santé se détériore chaque jour un peu plus.

Insuffisant cardiaque il ne sort quasiment plus de chez lui, l’effort physique pour monter les trois étages est devenu trop rude.

Cet homme est en train de mourir.

Seul.

La journée s’annonce difficile pour moi, j’ai accompagné une de mes patientes  une partie de la nuit, elle est décédée ce matin.

Nous nous adorions.

Vraiment.

Elle avait quarante ans, deux  jeunes enfants, une femme brillante qui menait sa vie de working girl avec brio, elle remplissait son rôle de mère avec talent, elle était une femme attachante, drôle, intelligente, intransigeante, colérique, capricieuse, juste, aimante, elle était un peu chacun de nous.

Je suis restée près d’elle et de sa famille 4 mois, 16 semaines sans repos (les joies du libéral quand on n’a plus de remplaçante), le jour et la nuit, parfois jusqu’à 3 heures par jour.

Nous avons tout vécu ensemble :*

la joie,

l’espoir,

les faux espoirs,

 la désillusion,  

les larmes,

L’annonce de la gravité du diagnostic,

la chute des cheveux,

le choix de la perruque,

la promesse de continuer d’être ce que je suis quoiqu’il arrive,

la promesse demandée à ses proches de continuer leur vie, quoiqu’il arrive,

la perte de poids de 35 kg,

la déchéance,

la dernière fête, un samedi après-midi, avec les amies qu’elle n’a pas vu depuis longtemps,

les retrouvailles ultimes avec un père perdu de vue depuis 12 ans,

ses remords,

ceux des siens

ses regrets,

ceux des siens,

le choix du cimetière avec son mari,

le désespoir  de l’époux,

le désespoir des enfants,

le désespoir des grands parents qui ne croient à ce qui est en train de se jouer car « ils sont trop vieux » pour épauler leur fils et leurs petits-enfants,

le désespoir d’un père qui a perdu trop de temps,

les supplications pour ne pas « finir » à l’hôpital,

les derniers souffles,

les cris,

les larmes,

le silence.

Puis l’absence.

Elle est morte ce matin, je viens de perdre quelqu’un que j’aimais profondément, nous étions si proches, sur tous les plans...

Je ne peux plus rien pour elle, aussi injuste que cela puisse sembler.

Pourtant, je connaissais l’issue mais comment aurais-je pu imaginer que le temps passe si vite….

Il pleut, le ciel est gris et triste.

Je parle souvent du temps qui agit sur ma façon d’appréhender le soin, ma résistance pour faire face aux difficultés et  il influe réellement sur l’état du patient.

Bref, une sale journée.

J’essuie mes larmes entre chaque visite, et  j’essaye de ne rien laisser paraître de mon émotion au fil de la journée.

Et puis arrive le tour de Mr Asticot.

Il a passé une nuit difficile, il me dit qu’il n’en peut plus, il a des idées noires qu’il n’arrive même plus à garder pour lui.

Il pleure pendant toute la durée du soin.
Je ne romps pas le silence, j’ai besoin de réfléchir.
Ça ne peut plus durer, je le rassure et je lui dis de tenir le coup encore quelques jours, je lui demande de me faire confiance, il accepte.

Je rentre au cabinet et je décide d’appeler le maire.

Il n’est pas disponible donc je demande à sa secrétaire de lui laisser un message dans lequel je lui explique qu’un homme va mourir dans les jours qui viennent dans sa commune, malgré les nombreux appels et courriers effectués et envoyés aux services sociaux au cours de ces derniers mois, je lui précise que  ça  va certainement faire très mauvais genre en terme de crédibilité électorale.
Je demande également à la jeune femme de lui indiquer qu’il serait préférable qu’il me rappelle avant que Le Parisien le fasse car je leur ai envoyé un petit topo de la situation et c’est le genre de faits divers dont ce journal est friand.

Je contacte ensuite les services d’hygiène et je répète le même scénario, mais là, j’arrive à parler à un responsable qui m’assure « qu’il diligente une visite de contrôle » au plus vite.
Je lui précise qu’il faut que ce soit plus rapide « qu’au plus vite » car je compte appeler les pompiers juste après avoir raccroché, et qu’ils seront ravis de constater les conditions de sécurité dont bénéficie l’appartement de Mr Asticot.

Electricité sommaire, Bouteille de gaz posée sur des cageots, pas d’ouvrants sur l’extérieur, canalisations défectueuses, sanitaires hors services ….là encore je précise qu’un incendie en plein centre-ville serait à mon avis du plus mauvais effet à l’approche des élections….

Je tiens parole et j’appelle les pompiers.

Je raccroche et je téléphone au commissariat.

Toutes mes communications sont suivies d’envoi d’un mail et d’un fax dans lequel je résume la situation, je déclare avoir informé les autorités compétentes et je dégage ma responsabilité de tout évènement dramatique qui pourrait découler de cette situation.

Vers 16h30, mon téléphone sonne et les services d’hygiène m’indiquent qu’ils effectueront une visite le lendemain matin.

Les pompiers se sont déplacés et ont constaté l’insalubrité du logement, Mr Asticot n’a pas voulu les suivre, il ne veut plus être déplacé sans cesse pour revenir  finalement dans « son nid à rats ».

Vers 18h00, je reçois un appel du maire qui après quelques minutes de conversation m’assure que tout va être organisé pour reloger en urgence Mr Asticot.

Trois jours ont passés.
La DDASS et les services d’hygiène se sont rendus chez lui, un arrêté d’insalubrité a été rendu.

Décembre 2013

Mr Asticot vit dans un foyer pour personnes âgées et dort toutes les nuits dans un lit sec et propre.
Ses problèmes de santé se sont stabilisés et ses plaies sont guéries.
Sa chambre est modeste mais il bénéficie de tout le confort nécessaire.
Je lui rends visite de temps en temps.
Il a passé le réveillon de Noël avec ses enfants et ses petits-enfants, quinze ans que cela ne lui était pas arrivé.
Il est heureux et apaisé.

Janvier 2014

Mr Asticot est mort ce matin.
Dignement.
Son ancien propriétaire court toujours.








mardi 6 mai 2014

Joyeux Noel!

Septembre 2011

La situation sociale de Mr Asticot ne s’est pas améliorée, il vit dans des conditions indignes et personne ne semble s’en émouvoir en dehors de moi.

J’ai pourtant contacté les services sociaux municipaux. Le mois dernier, une assistante sociale s’est déplacée et a pu faire un « état des lieux », mais elle nous a déclaré  son incapacité à agir rapidement car les dossiers difficiles sont pléthores et  Mr Asticot n’est pas « prioritaire »...

J’ai aussi interpellé la famille car ce homme est certes divorcé, mais père de trois enfants qui vivent à proximité de chez lui. Ils sont établis et bénéficient d’excellents revenus. Mr Asticot est d’ailleurs devenu grand-père cet été, deux fois, grâce à son fils ainé et sa fille cadette, mais il n’a jamais vu ses petits-enfants, ses enfants n’ont pas de temps, et ils n’ont surtout pas envie de lui consacrer du temps, de vieilles rancœurs subsistent ….

Mr Asticot m’a parlé aisément et sans retenue dès le premier jour.

Il m’a presque tout dit, il m’a raconté ses vies, celle de « la belle époque » prospère et heureuse  à celle d’aujourd’hui, la descente aux enfers, la honte, la ruine, le rejet, la solitude.
Il me parle avec pudeur, je l’écoute avec discrétion, souvent avec émotion, jamais dans le jugement.

Il n’attend rien d’autre de moi.

Ce vieil homme est seul au monde.

Je suis sa seule visite des jours ordinaires comme des jours de fêtes.

Je soigne ses maux et ses plaies, tous les jours.

Je lui apporte parfois du pain, des vêtements, du réconfort.

En ce qui concerne son logement, Mr Asticot loue ce taudis crasseux et insalubre à un marchand de sommeil depuis 12 ans.

La pièce mesure 11 m², le loyer mensuel est de 650 euros, il est prélevé sur son compte, le propriétaire vit en chine…

Mr Asticot paye rubis sur l’ongle car il est persuadé qu’il ne pourra jamais trouver autre chose étant donné ses faibles revenus.

Cependant, il dort assis sur le fauteuil de jardin usagé en plastique, certainement chiné dans une poubelle, car une canalisation fuit et s’écoule au niveau du matelas posé sur le sol.
Son lit est donc en permanence imbibé d’eaux usées donc inutilisable.

Vous l’aurez compris, sa vie est un enfer.

Décembre 2011

Aujourd’hui, je suis fatiguée.

Hier,j’ai appelé une nouvelle fois les pompiers.

Mr Asticot a été hospitalisé une nuit ce qui lui a permis de dormir au chaud et dans un lit.

L’hiver est rude et « l’appartement » n’est pas chauffé.

Je crains le pire chaque matin.

Aucune nouvelle des services sociaux que j’alerte régulièrement.

L’hôpital refuse de le prendre en charge faute de place  mais aussi parce que sa situation sociale est un frein à la mise en place d’un plan de soins favorable.

Actuellement les ulcères présents sur les membres inférieurs sont tellement exsudatifs que les secrétions s’évaluent à un demi litre par 24 heures.

Les pansements et les bandes de contentions sont rapidement saturés  et ne résistent pas plus d’une heure.

Mr Asticot en est réduit à dormir les jambes dans une bassine en plastique.

Les soins sont donc de plus en plus difficiles à réaliser car les conditions sont insupportables et les plaies particulièrement repoussantes.

Je mets mes gants et j’essaye de me concentrer sur l’essentiel.

Mr Asticot a mis un sac en plastique dans la bassine, je le soulève, il est rempli d’un liquide jaunâtre que je jette dans les toilettes.

J’ai très chaud, je découpe les bandes, je réprime une nausée, je transpire à grande eau.

Je commence le soin pour la énième fois mais aujourd’hui c’est plus difficile, mon patient n’en peut plus, il me dit qu’il veut mourir pour en finir.

En entendant  son désespoir, je me relève, il me faut de l’air frais mais la seule fenêtre de l’appartement est condamnée, Mr Asticot parle, sa voix résonne autour de moi je suis au bord du malaise.

Je rassemble mes dernières forces et je me remets à la tâche et vingt bonnes minutes plus tard, c’est terminé.

Je suis vidée.

Mon patient est désolé d’avoir craqué, je le rassure et je lui souhaite une bonne soirée, je referme la porte derrière moi.

Une fois sur le trottoir, je respire enfin l’air frais, je suis vertigineuse, j’ai froid.

Il me reste une dizaine de patients à voir.

Il est 17h00, nous sommes le 24 décembre, dans quelques heures, après un beau repas en famille, entourés de rires d’enfants beaucoup d’entre nous ouvriront des montagnes de cadeaux dans un foyer chaleureux pendant que d’autres seront seuls.

La voix de Mr Asticot résonnera longtemps dans ma tête ce soir-là :

« Encore merci et Joyeux Noël à vous et votre famille Mlle Peggy ! »
« Merci à vous Monsieur, bonne soirée et essayez de vous reposer un peu ! »

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samedi 3 mai 2014

La pochette surprise!!!

Mai 2011
Me Voilà devant un bel immeuble à la façade bien lisse au cœur d’un quartier résidentiel. Une fois la porte cochère poussée, le décor est change, la cour est crasseuse, sombre et peu accueillante. Je pousse une porte qui s’ouvre sur un escalier étroit, je prends mon courage à deux mains et je commence la montée des marches et l’angoisse m’étreint au fur et à mesure de ma progression.
Premier étage : silence absolu
Second étage : une odeur particulière imprègne l’endroit et s’accentue au fur et à mesure que j’avance.
Troisième étage: je longe le couloir et je me retrouve devant une simple porte en contreplaqué sans serrure sur laquelle je peux lire le nom de mon patient inscrit au marqueur….
J’inspire profondément, j’expire lentement et je frappe trois coups qui résonnent dans ce silence pesant.
Quelques secondes plus tard, j’entends des pas lourds et trainants, un râle, le bruit d’un objet qui tombe et la porte s’ouvre enfin.
Souriante et et affichant un sourire crispée :
-Bonjour, je suis l’infirmière !
-« ah bonjour, allez y entrez et faites pas attention au bordel !!! »
Devant moi se tient un homme âgé d’environ 70 ans, incurique, 1m80, 120 kilos, aux traits tirés, vraisemblablement  usé par la vie.
Il semble heureux de me voir mais très vite troublé par le fait que je découvre l’état de l’endroit où il vit.
En effet, un véritable taudis s’ouvre à moi, une seule pièce organisée en un lieu de vie. A droite j’aperçois un vieux matelas nu posé par terre, sans draps taché et à priori mouillé par endroits….
A la tête du lit, une vieille chaise de jardin en plastique devant laquelle se trouve une table adaptable que l’on trouve dans les chambres d’hôpital ,à l’opposé du «  coin chambre »,Mr Asticot a installé sur un cageot, une bouteille de  gaz de camping,enfin une bassine avec de la vaisselle  est posée sur le sol, sous un petit lavabo.
A côté du point d’eau, des toilettes non cloisonnées …
Une seule fenêtre, un velux condamné.
Devant un tel tableau, je suis bouche bée.
Je conserve mon sang froid et et je commence à échanger avec lui, mes craintes et mes appréhensions des premières minutes se sont transformées en empathie. Mr Asticot parle facilement et se livre rapidement.
Il a une série d’injections et de pansements à réaliser, je l’écoute attentivement mais je suis perturbée par cette odeur que j’avais remarquée lors de mon arrivée mais je n’arrive pas à la localiser...
J’effectue l’injection, puis je lui demande de me montrer les plaies.
Un peu gêné, il se déshabille lentement, enlève son jean et je découvre ses mollets….infestés par les vers !!!
Je palis.
Je suis figée.
Que faire ???
J’ouvre, les mains légèrement tremblantes le premier paquet de compresses puis le second.
J’humecte les compresses avec un antiseptique et je commence le nettoyage de la plaie, le tissage s’accroche dans les chairs, j’effectue une légère pression pour dégager le tissu et des secrétions me giclent au visage !!!
Je me relève brutalement au bord du malaise, la chaleur qui règne dans la pièce exacerbe les odeurs, je vais me sentir mal.
J’explique à Mr Asticot, qu’il faut l’hospitaliser, il accepte.
Nous attendrons ensemble les pompiers qui arriveront dans le quart d’heure suivant mon appel
Je lui laisse ma carte.
Quinze jours plus tard, Mr Asticot m’appelle pour me donner de ses nouvelles et me prévenir qu’il va avoir besoin de moi car il sort le lendemain.